Surchargée d’angoisses et de panique, j’ai mis deux bonnes semaines du mois de Mars pour me détacher de mon téléphone, pour arrêter d’écouter les informations en boucle, pour sortir la tête de l’eau. Puis, en regardant tout ça de plus loin, je me suis interrogée sur la nature de ces angoisses. J’y ai vu, cachée derrière mes inquiétudes pour la santé de mes proches, bien sûr, et la santé du monde qui m’entoure, une anxiété liée à mon rapport au temps. Que faire de tout ce temps qui m’est donné ? Comment faire pour arriver à avancer quand tous les plans sont chamboulés ?
Je n’avais plus que le choix de travailler lentement et de revisiter mon quotidien.
Quotidien
J’ai toujours été intéressée par les rapports que l’on entretient avec le quotidien.
Malgré la distanciation sociale, j’ai eu l’impression d’être invitée à entrer chez les gens. Je me suis retrouvée dans la chambre d’un consultant en mode en Afrique du Sud ou bien dans le salon d’une agricultrice en Californie. Chacun.e dans l’espace de son quotidien, dans sa bulle. Une partie de moi s’est reconnue dans chacune de ces personnes, les rendant tout à coup, plus humaines, plus proches aussi. Tout comme ces passant.es qui défilaient devant ma fenêtre pour prendre l’air, se dégourdir les jambes, flâner. Parce que, pour une fois, on pouvait, sans se sentir coupable, flâner.
Est venu ensuite toute une série d’observations aux grés des promenades et des découvertes.
Et si les rues restaient sans auto pour permettre aux piétons de se promener et aux vélos d’avancer sans crainte ? Et si les gens continuaient de se tourner vers des producteurs, artisans et petites boutiques pour faire leurs achats de façon écologique et durable ? Et si des grandes entreprises de luxe continuaient de produire pour le bien commun ? Et si on continuait d’écouter des podcasts pour s’informer, de lire pour rêver, pour se cultiver ? Et si on continuait de prendre des nouvelles, tout le temps, juste comme ça ? Et si on continuait de prendre le temps ?
Regardez comme on est capable. Comme on est capable de penser autrement.
Ce que la pandémie aura apporté de bien, à mon sens, c’est le partage et l’accès à l’information, à la culture. C’est après des heures et des heures de podcasts, de conférences en ligne et de lectures que sont nées ces réflexions.
Détail d'une courte pointe réalisée par une membre des India’s Siddi Quilters. Référence : Trend Tablet
Ce que toute crise apporte c’est le renouveau, la réinvention du quotidien.
Si on s’intéresse à la mode sous l’occupation, certaines pratiques ont vu le jour pour pallier le manque de matière première et déjouer les restrictions. Je pense notamment à la robe 1000 morceaux confectionnée dans différents tissus récupérés à la façon d'une courte pointe ou encore à cette ligne noire, que les femmes se dessinaient à l’arrière de la jambe pour imiter les bas de nylon dont la matière première était réquisitionnée pour la fabrication de textiles pour l’armée. Parce que l’intelligence humaine se trouve dans cette fabuleuse capacité d’adaptation.
Le 20 mai se déroulait la conférence de Li Edelkoort[1] qui présentait les tendances couleurs et textiles pour la mode de l’Automne Hiver 21/22, « Stillness ». Une présentation tout en douceur avec des couleurs pâles, blanches, délavées, calmes, floues. Dans l’idée du blanc demeure celle de la page blanche, comme le début de quelque chose de nouveau, quelque chose de plus apaisé, de plus sain aussi.
Gauche : Garciabello, collection SS20, Campo
Droite : Lee Sun
Je reste persuadée que l’espace et le temps qui nous ont été donnés ces derniers mois vont donner naissance à une nouvelle ère. Sans savoir encore de quoi elle sera faite, je crois qu’il est temps de la penser.
Il y a eu, dans les dernières semaines, une formidable prise de conscience collective. Parmi ces prises de conscience, il y a eu cet élan de support des entreprises locales. Que ce soit au niveau alimentaire, vestimentaire ou accessoire, ce mouvement est pour moi essentiel pour entamer la transition.
Parce que c’est en ramenant la production à des échelles plus humaines que l’on pourra tendre vers des modes de vie plus durables.
C’est aussi en prenant conscience des choses dans leur globalité que l’on réalise que l’humain se trouve derrière chaque petite chose de notre quotidien. Acheter local, c’est aussi faire travailler des gens autour de nous, le voisin d’à côté, la voisine d’en face, peut-être celle du coin de la rue.
Cette importance de la main a été célébré par plusieurs designers de mode au travers de leurs récentes collections. Chanel pour collection haute-couture automne/hiver 2016/2017 ou encore Dolce & Gabana montrant des vidéos de cordonnier, de la couturière ou encore de la tricoteuse en arrière du défilé Automne 2020 présenté à la dernière Fashion week de Milan en Février 2020.
Célébrer l’importance de la main et du travail de l’humain c’est aussi venir contrebalancer la présence grandissante de l’intelligence artificielle et de l’immatériel dans nos vies.
Il y a, dans le tissu, et encore plus dans le tricot, l’idée de lien. Le fil qui crée les boucles est aussi celui qui nous lie les uns aux autres, celui qui nous permet de tisser des liens, ils sont « tricotés serrer » comme on dit. Il y a aussi l’idée de transmission, d’héritage. De ces gestes répétés à travers les âges et qui se répèterons encore longtemps.
Bridget Harvey, Yellow Cardigan (2015 onwards)
Parler de durabilité, c’est rassembler tous ces concepts sous le même toit.
C’est de vivre en respectant les limites de la planète et de donner les clés aux générations futures pour qu’ils puissent faire de même. Une approche holistique, de celles qui prennent en compte chaque maillon du chaînon.
C’est aussi une question de choix. Vivre la transition écologique c’est choisir de réduire sa consommation, choisir la provenance des produits que l’on achète, s’informer.
C’est un pouvoir formidable de réappropriation.
La lutte pour l’écologie ne se tient pas très loin de la lutte antiraciste, de la défense du droit des femmes ou des droits des communautés LGBTQ+. Ce qu’elles ont en commun c’est l’aspiration profonde à l’égalité, à la reconnaissance qu’en chaque être réside un.e semblable qui, s’il.lle est différent.e, doit avoir les mêmes droits que moi, et particulièrement celui de vivre librement. C’est respecter et honorer le vivant.
« Il faut être crétin, ou salement malhonnête, pour trouver une oppression insupportable et juger l’autre pleine de poésie » Virginie Despentes, King Kong théorie
On peut aussi choisir de se résigner. Choisir que tout redeviendra comme avant. Choisir que les choses resteront telles qu’elles étaient. On peut aussi choisir de rester figer dans le temps, d’arrêter d’avancer mais je ne crois pas que le temps nous en laissera l’occasion. Alors parmi tous ces choix, faisons celui de l’espoir d’un monde meilleur.
Parmi les conférences et entretiens, j’ai choisi de partager ici ce que j’ai retenu de « Earth Matters: new sustainable textiles & materials webinar », animer par Philip Fimmano pour Trend Union.
La conférence se développait autour de quatre axes principaux : les origines, la réinvention et réappropriation de nouveaux matériaux, la collecte de nouveaux ingrédients et la production durable. Par production durable, on entend également la transmission et la perpétuation des savoirs.
La beauté des projets présentés m’a donnée de l’espoir. Le voici, cet espoir.
Poésie // Aliki Van Der Kruijs, Made by rain
Basée au Pays Bas, Aliki Van Der Kruijs a développé une technique particulière d'impression capable de retenir la trace des gouttes de pluie sur le tissu. Un projet poétique qui s'intéresse sur l'impact de la météo sur notre quotidien.
Recherche de nouveaux matériaux // Tamara Orjola
Tamara Orjola s'intéresse aux possibilités que peuvent apportés les aiguilles de pins comme solution alternative pour le textile, les matériaux composites ou le papier.
Redécouverte // Nina Gautier, Urtica lab
Au travers de son projet, Nina Gautier propose un large éventail de produit pouvant être développé à partir de l'ortie : alimentation, médecine, textile et couleur. Une approche hollistique qui vient mettre en avant un savoir sur les plantes tombés dans l'oubli.
Héritage // The London Cloth Company
The London Cloth Company c'est l'histoire de Daniel Harris qui, en 2011, décide de réparer des métiers à tisser ancestraux (datant de 1870) pour faire revivre une industrie dont les savoir-faire se sont perdus au fil du temps.
Photographie : Liz Seabrook
[1] Lidewij Edelkoort est une chercheuse en tendance. Son travail consiste à analyser des tendances du marché (esthétiques, psychologiques, contexte socioculturelle, …) pour déterminer celles des années à venir. C’est une personnalité de la mode importante puisque les tendances prédites sont suivies par les designers et entreprises du domaine. Elle parle beaucoup d’écologie et d’artisanat dans son travail et c’est la raison pour laquelle je choisi de suivre ses séminaires.